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Journal d'un insatisfait
17 mai 2015

Lettre à Isabelle Padovani

Bonjour madame
Après avoir regardé quelques heures de vos vidéos (très drôles il faut le reconnaître), je me décide à vous écrire.
Il se trouve que j'ai choisi l'option opposée à celle que vous avez choisie : étudier les anciens et seulement eux, et ne faire aucune confiance aux modernes. Ce qui inclut donc bouddhisme, hindouisme, christianisme, et soufisme, avec un peu de taoïsme et de kabbale, ce à quoi j'ai pu accéder.
En effet, après 10 ans de pratiques spirituelles couronnées d'insuccès, je n'ai pas supposé que j'étais quelqu'un d'ignorant et d'arrogant (ce que j'étais), mais j'ai supposé que les clés étaient soit perdues par les maîtres modernes, soit gardées secrètes par les quelques maîtres traditionnels encore vivants (tibétains, hindous, soufis...). Et surtout, voyant l'état de mes petits camarades (j'ai vu défiler pas mal de monde dans de nombreux groupes), j'ai décidé de ne faire confiance à aucun maître vivant.
J'ai donc tout relu de A à Z, mais surtout, en ce qui concernait la pratique, je suis parti d'un livre écrit par un lama tibétain désavoué par ses pairs, notamment à cause de ce livre divulguant tous leurs secrets (Claire lumière de Félicité, Kelsang Gyatso). Il ne donne pas toutes les clés, mais il en donne assez pour s'en sortir, pour autant qu'on aille étudier toutes les autres traditions à la recherche de ce qui manque. Il décrit le processus de l'éveil dans tout sa complexité, dans un langage premier degré, sans symboles, sans cachotteries, sans mots bizarres, et c'est d'une aridité qui décourage tous les lecteurs, parce qu'il s'en tient purement à l'aspect technique. Ce qui revient certes à cacher des clés (l'aspect dévotionnel), mais ce qu'il cache, on peut le trouver ailleurs. Alors que ce qu'il dévoile, on ne le trouve nulle part ailleurs : ce sont les signes objectifs de la progression. Et la méthode complète. Une fois tout remis ensemble, on les retrouve absolument partout, mais toujours dits à demi-mot, avec de grosses lacunes. On comprend que c'est ce que les saints et mystiques de toutes traditions ont vécu.
Il n'y a qu'un endroit où on ne le retrouve pas, c'est chez tous les éveillés modernes, ceux auxquels vous vous référez. Ils vivent quelque chose de radicalement différent des anciens. Pourquoi ? Parce qu'il manque la moitié de la méthode. Et pourquoi manque-t-elle ? Parce personne ne se doute qu'elle existe.
Ce que je dis peut paraître délirant, mais comme je n'ai rien à vendre, vous ne perdrez rien à lire la suite, juste quelques minutes.
 
Il y a deux clés qui manquent à tout ce qu'on nous présente. La première concerne les thérapies énergétiques. Toutes les techniques présentées devraient être faites dans le but de conduire les souffles à l'intérieur du canal central, or ce n'est jamais expliqué, et donc cela n'arrive jamais, parce que c'est très difficile et nullement "naturel". La différence est simple, c'est celle entre la transe et l'extase. Quand vous agitez les souffles vitaux avec diverses méthodes, soit ils restent à l'extérieur du canal central en produisant des états bizarres (transes chamaniques etc), soit ils entrent à l'intérieur du canal central et produisent l'extase mystique, un état opposé (puisque l'un est un état supra-conscient, et l'autre une possession par un complexe psychique). Personne aujourd'hui ne fait la différence, et d'ailleurs c'est pratique, parce que si l'on était honnête, il faudrait dire à tous les stagiaires qu'ils se plantent. En stage, je n'ai jamais vu personne entrer en extase (et pourtant je les guettais, parce que celui qui y est vous y met), je n'ai vu que des transes, et c'était parfois effrayant. Les gens se détraquent, ils deviennent de plus en plus névrosés en se croyant de plus en plus réalisés. 
A partir de là, à supposer que certains tombent sur l'état correct (ce que vous appelez le Père), il y a un deuxième piège. (Je passerai sur le fait que pour les modernes, il ne se produit pas avec une méthode, mais vous tombe dessus. Alors que pour les anciens, il se produit par une méthode précise, et il est reproductible, modélisable etc..)
Dans les deux cas, tout le monde s'entend pour dire qu'il faut intégrer cet état dans la vie quotidienne, dans le corps. Avec une différence immense. Pour les modernes, c'est le corps ordinaire. Pour les anciens, c'est l'essence subtile du corps, les gouttes. Je prends une analogie. Le corps ordinaire est un bloc de glace. Le Père, c'est le parfum de l'absolu. Essayez d'intégrer un parfum à un bloc de glace, vous m'en direz des nouvelles. Il faut d'abord que la glace soit fondue, et cela se fait avec du feu. Un feu mystique qui cependant a des effets physiques, puisqu'il fait fondre la neige et se mesure avec une caméra thermique (il y a aussi un feu grossier mesurable, mais là, la différence est la même que plus haut : l'un est à l'extérieur du canal central, l'autre à l'intérieur. Si l'on s'y prend mal on risque de graves problèmes de santé, dans le meilleur des cas on devient un amuseur public qui s'exhibe dans des bacs à glaçon). Bref, le mélange corps/esprit ne se produit que lorsque le corps est sous forme aqueuse, façon de parler. Le résultat est un nouveau corps, un embryon au départ (le fameux embryon d'immortalité du taoïsme). En effet, le processus ne peut se faire que petit à petit. Le corps contient des centaines de milliers de canaux, chacun de ces canaux contient des gouttes congelées (le tantra de Kalachakra dit 42000 et quelque, mais c'est un nombre symbolique) on ne peut les transformer qu'un par un, et tout doit se faire bien sûr à l'intérieur du canal central (qui n'est pas un lieu physique). Lorsque la totalité du corps est transformée, on appelle ça le corps de gloire (il y a là encore des degrés).
Si l'on travaille sous la forme "glace" du corps physique, alors on expérimentera ce que vous décrivez : une oscillation entre l'avant-plan et l'arrière-plan. A l'inverse, si l'on peut faire le mélange correct (rester dans son "état naturel", tout en fondant les gouttes une par une) il n'y a pas d'oscillation, plutôt une intégration progressive où le feu va brûler différemment en fonction du combustible. Soit il éclaire des gouttes pures, ça fait de la lumière, soit il brûle des gouttes contaminées, pleines de karma, et ça fait pas mal de fumée. Quoi qu'il en soit, il arrive assez vite que le karma soit vu comment produisant directement de la lumière, à partir de quoi on ne souhaite pas échapper à la souffrance, bien au contraire on la provoque. C'est le sens de l'enseignement du Christ : la Croix c'est la résurrection. Pas successivement, mais en même temps. D'où les mortifications des saints. Ces gens ne sont pas masos, ils cherchent juste à augmenter la lumière. Or, tout le discours des Eveillés modernes, c'est soit d'expliquer comment échapper à la souffrance, soit d'expliquer comment c'est OK. Mais personne n'explique jamais comment s'en délecter, ni comment la provoquer. C'est signe à mon avis que le processus général d'engendrement du corps de gloire n'est pas correct, puisque soit on en arrive là (comme les mystiques chrétiens), soit on a sa petite technique de pranayamas bien rodée (comme les tibétains) qui permet de chauffer de plus en plus en donc de brûler de plus en plus. Parce qu'on en veut toujours plus. Il est impossible de se contenter de ce qu'on a tant qu'on n'a pas la totale, l'omniscience, le corps d'arc-en-ciel. Lisez des témoignages de maîtres tibétains, les vrais pratiquants ne s'arrêtent pas avant la fin. Et l'on considère qu'enseigner, c'est diminuer ses possibilités.
 
Quand donc en veut avoir une pratique qui avance, on se concentre sur les deux facteurs qui ne sont absolument enseignés nulle part : faire entrer les souffles dans le canal central, tout en faisant fondre les gouttes, et donc développer une capacité d'intense concentration, les tibétains parlent de concentration en un point. Cela n'a rien à voir avec le fait de regarder un verre d'un oeil torve en observant sa pensée, et cela a tout à voir avec le fait d'éprouver une émotion intense et profonde, et de l'intégrer dans la sensation. Ça marche avec tout, le désir, la jalousie, la tristesse, la colère et même la détestation. Et cela ne peut se faire que de façon très localisée (au niveau du corps), c'est un travail de titan. Ne pas éprouver une émotion puissante en regardant n'importe quoi ou en pensant à n'importe quoi, cela indique simplement que les souffles qui portent la pensée ou la vision parcourent des canaux complètement congelés et rigidifiés.
L'état des gouttes et des canaux se voit bien entendu au physique des gens, et je ne vous dis pas l'absolue catastrophe qui nous entoure, tout le monde est à peu près momifié. Ensuite, chacun n'a plus qu'à attendre que "l'éveil" lui tombe dessus, parce qu'il n'est vraiment pas en état de produire la bonne chose. Et quand elle arrive, elle ne peut être intégrée, puisque jamais le bon type de concentration n'est produit (il y a aussi pas mal de cas de pétage de kundalini, mais souvent ça se finit assez mal car ce sont les complexes psychiques qui sont nourris). La vraie méthode est totalement contre-intuitive, et elle est complexe, c'est pour cette raison que personne ne tombe dessus par hasard ou grâce à sa propre intelligence. Il n'y a que les anciens qui puissent nous l'enseigner, et là il faut distinguer la structure du contenu. Je ne dis pas qu'aucun éveillé moderne n'a une part de réalisation, mais qu'aucun ne fait la différence entre le bon et les mauvais processus et que donc tout se fait au petit bonheur. Et j'attends toujours que l'un d'entre eux laisse des reliques à sa mort.
Pour finir je vous propose une petite expérience : jetez un coup d'oeil sur cette vidéo de Krishnamurti https://www.youtube.com/watch?v=eNl92AF9-n4 coupez le son, et demandez-vous lequel des deux est le maître. Avant de les écouter, j'ai cru que c'était elle. Il est tellement raide et elle est tellement souple. Et il s'y croit tellement. Et si vous les écoutez, vous verrez que ses paroles à elle sont plus fines et intelligentes que celles de K. Mais bien sûr, c'est une femme... 
Pour finir, je préférerais ne recevoir aucune réponse plutôt qu'une réponse diplomatique, ce qui vous gagnera peut-être du temps. Je sais que ce que je dis est très impopulaire, donc je m'en remettrai.
 Dans tous les cas je vous souhaite une bonne continuation, je continuerai à regarder vos vidéos dans tous les cas, c'est bien meilleur que nos comiques actuels qui sont d'une consternante vulgarité d'esprit.

 

Réponse :
Je suis entre ahurissement et amusement en vous lisant car j'ai beaucoup de mal à comprendre ce qui peut vous faire croire que j'ai fait un choix différent du votre, sachant que j'ai cheminé pendant 25 ans dans des lignées tout ce qu'il y a de plus traditionnel !
Est-ce le fait que je ne m'y réfère moins aujourd'hui dans ce que je transmets ?
Dans tous les cas, je partage aujourd'hui ce qui me semble le plus precieux à partager : la tendresse envers soi et envers autrui et je n'ai jamais fait le constat que les pratiques énergétiques m'aient conduit à développer une once de tendresse, ni envers moi-même, ni envers autrui...
Par ailleurs, ce que vous partagez au niveau des pratiques traditionnelles est tout à fait précis et precieux : ce n'est simplement pas le cœur de ce que j'ai de la joie à partager...
Je vous souhaite de tout cœur le meilleur dans la voie qui est votre !
Du coeur,
Isabelle 
Dans tous les cas, sachez que je me considère davantage comme quelqu'un fonctionnant sur le mode des anciens que sur le mode de la plupart des enseignants modernes...

Réponse :
pardonnez-moi, car je ne pensais pas répondre, mais :
 
je n'ai jamais fait le constat que les pratiques énergétiques m'aient conduit à développer une once de tendresse, ni envers moi-même, ni envers autrui...
 
C'était l'essence de mon message. Vous auriez dû obtenir le développement d'un amour immense, et c'est ce qui me fait dire que vous n'avez fait aucune pratique traditionnelle, du moins pas de la manière dont elles ont été conçues à mon avis - mais il y a déjà bien longtemps que tout cela a commencé à dégénérer -. Je pourrais faire de longs développements sur le respiration embryonnaire taoïste qui est la même chose que la pratique de tummo tibétaine (ce que je fais), ou que l'oraison selon Ste Thérèse D'Avila, ou que le dhikr bien compris, qui conduit à cet amour qui surpasse tout.
Moi c'est cet amour que je voudrais partager, mais personne n'en veut (sauf ma copine, elle l'a vu et elle l'a voulu), parce qu'il implique une souffrance immense : celle de voir son absence dans le monde, et notre misère, qui est inimaginable.
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Commentaires
F
Oui voilà , c'est chaud ou show ?
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